16/02/2009

Entend qui peut !


Lui - Oh Isabelle ! Comme je suis content de te voir. Je peux m’asseoir à ta table ? Je pensais à toi justement. As-tu un moment à me consacrer ? Je voudrais te faire une proposition.


Moi - Excusez-moi, mais vous devez vous tromper, je ne suis pas…


Lui - Ah ! Qu’est-ce qu’ils font comme bruit ceux là, nous aurions dû choisir une autre table. Bon, je voudrais reprendre avec toi ce projet. Tu te souviens, je t’en ai déjà parlé.


Moi - Euh ! Non. Vous parlez de quelqu’un d’…


Lui - Souviens toi de mon projet ! Celui concernant le jumelage avec un village inuit. Les Inuits en ce moment ça se vend bien, alors tu vois, je fonce. J’ai bien avancé, mais j’ai besoin de toi pour le budget. Tu comprends, moi et les chiffres…


Moi - Je vous assure que je ne suis pas du tout la personne à laquelle vous pensez.


Lui - Oui c’est bien ça ! Alors voilà, avec les problèmes de couche d’ozone, on s’intéresse beaucoup à ce qui se passe au pôle nord et en ce moment, les Inuits, c’est devenu le truc à la mode. On peut s’adresser à la mairie et au département pour obtenir des subventions. J’ai déjà pris les contacts, mais il faut établir un budget prévisionnel. Oh s’il vous vous plait ! Est-ce qu’on peut avoir un peu de calme.


Moi - Je vous répète, je ne suis pas Isabelle et je n’y connais rien en matière de budget prévisionnel.


Lui - Merci Isabelle, tu me sauves. Car pour moi tu sais, les budgets prévisionnels c’est du chinois. Ah c’est fou ce qu’il est difficile de s’entendre au milieu d’un tel vacarme. Oh ! Jérôme tu me sers un café ? Merci. Et un autre pour Isabelle. Merci de faire vite Jérôme, nous sommes pressés.


Moi - Mais je vous jure que je ne suis pas Isabelle et je ne bois pas de…


Lui - Parfait Isabelle, je sens qu’on va s’entendre tous les deux. Je vois que tu as déjà tout compris. C’est vraiment merveilleux de travailler avec toi. Oh là ! Il est 11 heures, je devrais déjà être rue Didot, je ne peux pas attendre. Tant pis pour le café, je file. Je compte sur toi.


Moi - Mais je vous assure…


Lui - Oui comme d’habitude ce sera parfait. Appelle-moi dès que tu es prête, je te filerai le dossier. Moi il faut vraiment que je parte.


Il m’embrasse sur la joue et s’en va en courant, me laissant avec les deux cafés à boire et à payer. Moi qui ne prends que du thé.



11/02/2009

Pratiques douces pour meurtre sans coupable.


- Et pour les souris qu’est-ce qu’on fait ?

- Mais rien mon chéri. Tu sais bien que les souris sont les prédateurs des araignées, les araignées des mouches, et cetera. Il ne faut pas interrompre la chaîne trophique.

- Oh ! Ce n’est pas un petit coup de chimie qui va déséquilibrer l’écosystème.

- Mon chéri, si les souris te gênent, tu peux utiliser un répulsif biologique. Cela les écartera de la maison sans les supprimer, tout en préservant la biodiversité.

- Moi, il y a une souris très particulière, qui hante toutes mes nuits et j’aimerais bien trouver un poison, biologique ou pas, pour m’en débarrasser.

- Qu’est-ce que tu dis Chéri ?

- Rien Harriet, je réfléchissais juste à la façon dont je pourrais éliminer la souris qui m’empêche de dormir.

- Mais mon chéri, quelle souris ? Tous les soirs tu tombes de sommeil et je suis obligée de te secouer, afin que tu t’occupes un peu de moi avant de t’endormir.

- C’est exactement ce que je disais.

- Mon chéri, tu parles toujours entre tes dents et je ne comprends pas ce que tu dis. Si tu as un problème, tu devrais consulter le docteur Paterson, il pratique une médecine douce. Il a prescrit à Mrs Roberts, une préparation à base d’algues séchées, additionnées de secrétions hormonales de vipères. Depuis qu’elle en prend tous les soirs, elle se porte comme un charme. Ses hallucinations ont presque disparu.

- Oui, en effet, et il parait que depuis, elle passe son temps à dire du mal de tout le monde. Sir Roberts, d’habitude si flegmatique, est au bord de la crise de nerf.

- Mais pas du tout mon chéri ! Où es-tu allé chercher cela ? Nous prenons le thé ensemble tous les jours et je t’assure qu’elle et moi, nous avons des conversations fort intéressantes, tandis que Sir Roberts est à sa sieste.

- Certainement, je vous fais confiance, vous êtes excellentes pour retailler les costumes, tandis que Sir Roberts en profite pour filer à l’anglaise et me rejoindre au pub.

- Qu’est-ce que tu dis mon chéri ?

- Rien, je me parlais à moi-même.

- Le docteur Paterson soigne aussi ce genre de mal, avec des décoctions de fleurs d’orties cueillies au printemps et macérées dans des essences de boutons de jasmins. Cela donne également de très bons résultats pour les douleurs articulaires.

- Et pour toi ma femme, chère bénéficiaire d’une confortable rente sur titres de la United Standart Oil Ltd, afin que je puisse en toute quiétude, trinquer au pub avec Sir Roberts et jouir en paix des atouts de la jeune et belle Grace, je prescris très fort : une pommade à base de bave de truie en rut, prélevée pendant le premier décan du signe de la vierge et mélangée à celle d’un crapaud sénile, au troisième décan du scorpion. Un onguent composé de poudre d’os de corbeau, additionnée de sérum de sang de loup, extrait par une nuit de pleine lune. Un élixir de venin de punaise agrémenté de quelques poils de rats émasculés.

Il en était à imaginer une gelée de pétales de roses trémières, dégénérées pas la canicule, mixée avec la salive d’une chauve-souris enragée des Carpates, lorsqu’il remarqua qu’il régnait un silence inhabituel autour de lui. Puis se retournant, il découvrit Harriet gisant sur le carreau, les yeux révulsés et la bouche écumante. Son pouls ne battait plus.

Il arrive parfois, qu’à force de la désirer, la chose que l’on attendait, finit par arriver.

04/02/2009

Strip-tease dans la pénombre


A la lueur du réverbère de la rue, son corps se détache en ombre chinoise dans l’encadrement de la fenêtre. Alors qu’il me croit endormie dans la pénombre de la chambre, allongée sur le ventre, je le regarde ôter ses vêtements par-dessous mon bras.


Il s’est d’abord assis sur le rebord du lit pour délacer ses chaussures, puis il s’est relevé et de profil, penché vers l’avant, les fesses légèrement en arrière, je le devine de la pointe de son pied droit, extraire le talon gauche de son soulier, qui ainsi propulsé, s’en va finir sa course au bout de la pièce, tandis que l’instant d’après, l’autre s’envole dans le sens opposé. Ensuite, croisant ses avant bras, il saisit dans un même geste, le bas de son pull et celui du tee-shirt. D’un mouvement rapide, il retourne l’ensemble pour l’extraire par dessus sa tête et dans l’élan, il lâche sa dépouille qui s’en va choir au hasard sur la moquette. Puis il reste un instant debout immobile, comme pour me laisser le temps d’admirer le triangle, que la ligne de ses épaules forme avec ses côtes, avant de rejoindre sa taille pour se fermer sur le nombril, que je devine dans le noir.


Je ne sais pas exactement s’il me fait face ou s’il m’offre son dos, mais moi je profite de ses contours : la masse de ses cheveux bouclés se détachant floconneuse au dessus de son buste en triangle et au dessous ses hanches, moulées dans le jean, pour quelques instants encore. Mais quelques instants seulement, car déjà j’entends le clic de la boucle de son ceinturon et le zip de la fermeture, tandis qu’un frisson me parcourt l’échine. Ses bras de chaque coté se détachent dans l’ombre, comme les anses d’une amphore, pour faire glisser en même temps le caleçon avec le pantalon. Il s’assoit à nouveau sur le rebord du lit, ne me laissant à voir que son dos. J’imagine la suite et je peux deviner le jean ouvert aplati au sol avec le caleçon encastré au milieu et les chaussettes, l’une ici, l’autre là.


Dans un basculement de son grand corps souple, il me rejoint sous la couette. Et là, pour vérifier la profondeur de mon sommeil, il commence à me caresser, la nuque, les épaules, le dos, la cambrure des reins, puis les fesses. Moi, pour mieux en profiter, je feins de dormir, jusqu’à ce que je le sente prêt à renoncer. Alors, dans un long soupir d’encouragement, je me retourne pour lui offrir, mon visage, ma gorge, ma poitrine, mon ventre, mes cuisses ouvertes et je m’étire sous ses caresses en ronronnant, comme une chatte sortant du sommeil.



03/02/2009

Du coté de la tanguera (2)


Debout au bord de la piste, bien ancrée sur mon axe, un sourire accroché à mes lèvres, j’attends. Depuis le début du bal, j’ai été invitée par quelques débutants et maintenant j’apprécierais de danser avec des aficionados éclairés du tango. J’ai espéré pendant la cortina, mais je les ai vu l’un après l’autre se diriger vers d’autres danseuses, tandis que je me retrouve là, seule au bord de la piste, avec mon sourire en train de se faner.


Pendant le cours, Philippe m’a affirmé trouver très agréable de danser avec moi, mais depuis il est passé dix fois sans me regarder. Je l’aperçois maintenant au milieu de la piste en train d’instruire sa cavalière, finalement j’aurai échappé à cela.


Victor s’approche. Oh non surtout pas lui ! Vite me retourner et chercher quelque chose derrière moi, trop tard il a déjà saisi ma main. Le buste mou, le ventre en avant, les yeux rivés sur la pointe de ses chaussures, il me tire dans la direction d’un huit avant, sans m’avoir indiqué de croiser, je rectifie la position, maintenant il veut me faire pivoter sur mon pied droit, tandis que je suis encore sur le gauche. Cela ne se fait pas, mais tant pis ! Je le remercie à la deuxième danse et je vais m’asseoir en attendant la prochaine cortina.


Voici Robert, mais lui, il préfère les jeunes beautés. Avec vigueur il enserre une superbe blonde, penchée vers l’arrière, elle cherche désespérément où poser ses pieds. Et Alfred ? Je n’ai dansé qu’une seule fois avec lui, mais c’était divin. Il m’a fait tourner, pivoter et virevolter. Portés par notre élan nous avons enchaîné les figures et sans réfléchir j’ai réalisé des combinaisons de pas, complètement nouvelles qui sont passées à merveille. Pourquoi ce miracle ne s’est-il pas reproduit ? Qu’est-ce que je n’ai pas ? Je sens le désespoir m’envahir.


Mais non, je dois me ressaisir, retrouver ma place et mon sourire debout au bord de la piste. Roulant des hanches, un "Aldo Macionne" vient s’enquérir de mon niveau de danse, avant de m’inviter. De mon meilleur accent argentin je lui réponds « Lo siento Señor, no entiendo lo que está diciendo». Il s’en va voir ailleurs et moi je retrouve Pierre.


Bien sûr, je voudrais enchaîner les boléos, les pasadas, les calesitas et sacadas ; les mordidas, colgadas et barridas. J’aimerais oublier mes pieds et me confondre dans l’énergie sensuelle de la danse, mais dans les bras de Pierre, je suis bien. J’y suis bien parce qu’il marche en rythme, parce qu’il est dans son cœur, parce qu’il est dans ses pieds et parce que nous sommes reliés par l’envie d’être ensemble. Au moment où le bandonéon se fait plus langoureux, lorsque nous resserrons l’abrazo et que le mouvement se ralentit, il a beau être un vrai débutant, moi je suis au paradis.


01/02/2009

La collection


Colbertine Louvois collectionne les hommes, qu’elle répertorie en quelques rubriques sur des fiches classées par ordre chronologique. Cela tient dans cinq volumes, rangés sur la plus haute étagère de sa bibliothèque. Au début elle se contente de notes en désordre, puis au fur et à mesure du temps, les fiches s’enrichissent d’un tableau à deux colonnes contenant les aspects positifs et négatifs. Plus tard encore, apparaissent des rubriques notées, sur une échelle graduée de un à six, de très insuffisant à excellent. On y trouve aussi une ou plusieurs photos, lorsque la relation semble compter.


Je saisis le premier volume, que j’ouvre au hasard, sur la page concernant Louis Grimault, 32 ans, rencontré au Balajo, excellent danseur. « Au milieu d’un slow, il m’a annoncé qu’il me quitte, car sa femme vient d’apprendre notre liaison. Il m’aime profondément et c’est un grand déchirement pour lui, mais il veut voir grandir ses enfants. Le lâche ! Il m’avait promis de quitter sa famille pour m’épouser. Moi, je me suis déjà entraînée à signer du nom de Grimault ».


J’ouvre maintenant le deuxième volume à la page Joseph Touzet, 40 ans, ingénieur des Ponts et Chaussées. « Notre histoire a duré deux ans. Deux ans pendant lesquelles j’ai connu le bonheur. Nous nous sommes aimés tous les jours, avec les yeux, avec le cœur, avec le corps. Ensemble nous avons parcouru Venise en gondole (photo 1), à Istanbul nous avons déambulé main dans la main dans le Grand Bazard (photo 2) et nous nous sommes embrassés sous les arcades de l’Alhambra de Grenade (photo 3). Joseph vient de se voir attribuer la direction d’un gros chantier en Egypte. Moi, je refuse de le suivre, car même si je dois renoncer à l’amour de ma vie, je ne veux pas prendre le risque de quitter ma place ici ».


Troisième volume, page Francis Pellissier, 53 ans. Dans la colonne des plus : excellent amant, beau, conversations intéressantes, passionné d’arts. Dans la colonne des moins : ronfle, mauvaise haleine au réveil, radin, appartient à la Grande Loge Nationale de France, s’écoute parler. Durée de la liaison : trois mois. Motif de la rupture : j’ai rencontré Pierre Loizeau.


Page Ernesto Gomes 61 ans, du quatrième tome. Qualité de vie : niveau 6 – Elégance : niveau 5 - Activité physique : niveau 4 - Culture : niveau 3 - Savoir vivre : niveau 2 - Performance sexuelle : niveau 1. Coté plus : possède une villa à Saint Trop (voir photo). Motif de la rupture : m’a quittée pour une blonde.


Dernière page du cinquième volume, Cézar Wurtz, 94 ans. Rencontré pendant une valse, au bal de la maison de retraite « Equinoxe d’automne » sur la rue Didot. Elégance : niveau 6 – Vitalité : niveau 5 – Ecoute : niveau 1 - Coté plus : Me trouve la plus belle, de toutes les pensionnaires de la maison de retraite. Coté moins : Vision et audition faibles. La rubrique motif de la rupture est encore vierge.