21/11/2008

Transports et comptabilité


Nazaire Lantigné était employé aux écritures chez Carpo & Ruflette, une compagnie de transports sise au 137 de la rue Didot. Depuis vingt cinq ans, au service comptable, sous les ordres Malo Ruflette, Nazaire alignait les chiffres. De sa plume Sergeant Major, en pleins et en déliés, il rédigeait les libellés, débitait les achats par le crédit des fournisseurs et créditait les ventes par le débit des clients. Il alignait soigneusement les chiffres, les unités sous les unités, les dizaines sous les dizaines, les centaines, les milliers et les autres, sur un journal dont les folios avaient été soigneusement numérotés et paraphés au tribunal de commerce de l'arrondissement.

Lorsqu'il arrivait en fin de page, Nazaire totalisait à la main, la colonne des débits et celle des crédits et il effectuait les reports sur le folio suivant. Lorsqu'il avait enregistré les factures du jour, il reportait les mouvements et les libellés sur les comptes du grand livre et chaque fin de mois, il reportait les comptes du grand livre sur la balance. Puis il additionnait, afin de vérifier l'égalité entre les débits et les crédits. Nazaire avait toujours refusé de s'adjoindre les services d'une machine à calculer.

Tandis que son collègue affecté aux salaires enfonçait les touches et tournait la manivelle, Nazaire parcourait, en chuchotant, les colonnes de haut en bas, puis refaisait le trajet dans l'autre sens pour vérifier. Ce qui était inutile car il ne se trompait jamais, mais c'était la règle et il n'était pas pensable qu'un comptable puisse y déroger.

Chaque soir il quittait le bureau à 18 heures 32 et arrivait chez lui à 19 heure 18. Au passage il s'arrêtait au café tabac, à l'angle de la rue des plantes et de la rue d'Alésia, pour consommer un petit muscadet sur lie et acheter son journal, puis il rentrait chausser ses pantoufles. Il s'installait dans son fauteuil et dépliait le petit parisien, tandis que dans la cuisine Honorine Lantigné préparait la soupe. Ils dînaient à 20 heures en écoutant les informations à la TSF. Pendant que sa femme débarrassait la table et rangeait la vaisselle, Nazaire enfilait son pyjama après s'être soigneusement lavés les mains, les dents, le visage, les pieds et le … (par un geste d'impuissance le narrateur invite à deviner l'objet, qu'il serait inconvenable de nommer ici)

Honorine et Nazaire se retrouvaient sur leur lit, en même temps. Après avoir remonté le réveil il s'allongeait sur sa femme. Et là parfaitement aligné sur elle, ses jambes contre les siennes, tête contre tête, les épaules, les bras et tout le corps, il commençait à se balancer doucement du haut vers le bas et du bas vers le haut, chuchotant des libellés qu'elle ne comprenait pas. Peu à peu elle se laissait emporter par les mouvements. Tandis que la chaleur la gagnait, elle relevait sa chemise, il ôtait son pyjama et en retenue elle accrochait ses jambes sur le dos de son homme. Il la pénétrait avec application, en bon comptable, sans erreur, en contrôlant les flux. Il trempait dans son encre, puis, en pleins et en déliés, lui débitait des mots d'amour pour le crédit de son clitoris et créditait son point G par le débit de paroles coquines et plus encore. Sur un mouvement régulier de balance, ils s'additionnaient et se soustrayaient, avant de cueillir les bénéfices de leurs transports. Et quand ils faisaient le bilan, ils en avaient eu pour leur compte.