09/12/2008

Le curé de Saint Bréviaire


L’abbé Letellier curé de la paroisse Saint Bréviaire, accomplissait son sacerdoce avec dévotion, dans son église située entre la rue de Vanves et la rue Didot. Les paroissiens respectables lui témoignaient leur reconnaissance, en versant chaque année de substantielles contributions au denier du culte.


Il partageait son temps entre les offices religieux et les visites aux paroissiens. Cependant, parmi toutes les tâches relevant de son ministère, il préférait secrètement les confessions du vendredi et il en était même arrivé, à attendre ce jour avec fébrilité. Après la messe du matin, il rejoignait la cuisine du presbytère, où sa bonne lui avait préparé son petit déjeuner. Mais le vendredi il accélérait la célébration, puis se hâtait à la sacristie pour ôter sa chasuble et ranger les accessoires eucharistiques. L’instant suivant il en ressortait en soutane, pour se diriger, l’estomac vide mais le cœur plein de compassion, vers son confessionnal, où quelques paroissiennes l’attendaient déjà.


Tandis que le samedi était consacré aux confessions des hommes, le vendredi était réservé à celles des femmes. L’abbé Letellier s’installait confortablement sur son siège dans le compartiment central. Il posait l’étole sur ses épaules et à huit heures précises, il faisait coulisser la porte sur la grille, qui le séparait de la pénitente agenouillée dans l’isoloir de droite, car il commençait toujours par la droite.


Olympe Courbet de Villepinte s’accusait en chuchotant d’avoir menti, en simulant le plaisir pour ne point déplaire à son homme et confessait qu’il lui arrivait de se caresser pendant sa sieste. Mais l’abbé avait besoin d’en savoir plus, afin de mesurer l’ampleur du péché. Pouvait-elle indiquer discrètement, en quoi consistaient ses simulations ? Elle se mettait alors à soupirer avec tant de lascivité que l’abbé en éprouvait une vive émotion. Et concernant ses caresses pendant les siestes ? Oh si peu de choses ! Juste taquiner un petit bouton et s’imaginer se promenant nue dans la salle du conseil d’administration des aciéries Courbet de Villepinte, avec les yeux concupiscents des administrateurs braqués sur elle. Elle prenait alors la ferme résolution de faire pénitence et de ne plus recommencer. L’abbé lui donnait l’absolution avant de refermer la porte sur la grille. Il se recalait sur son siège et se donnait quelques secondes, afin de retrouver une respiration régulière, puis il s’ouvrait sur l’isoloir de gauche.


Athénaïs Bourget-Degas lui confiait que, pendant que son homme la pénétrait, elle pensait à son cheval et cela lui procurait une suite d’orgasmes dont le lendemain encore, il lui arrivait d’en percevoir les résonances. Pouvait-elle préciser la manière dont elle pensait à son cheval ? Depuis qu’elle avait vu pour la première fois une érection de son bel alezan, l’image était restée gravée dans sa mémoire et refaisait surface à chaque fois qu’elle avait besoin d’oublier la petitesse du pénis de son mari. Et, ressentait-elle quelques résonances à l’instant précis ? Soudain, elle était secouée d’un spasme dont le prêtre percevait la vibration de l’autre côté de la cloison. Incapable de répondre, elle baissait la tête et étouffait un soupir entre ses mains jointes. L’abbé Letellier lui donnait l’absolution de la main droite, tandis que sa main gauche apaisait le bas de son ventre.


Clémence Bertois dépensait des fortunes en carottes, courgettes et concombres, qu’elle manipulait en pensant à Philibert Renoir, celui qui était devenu son beau-frère en lui préférant sa sœur. Chaque samedi, elle leur rendait visite en fin d’après-midi, à l’heure où Philibert, rentrant de sa partie de tennis, se dirigeait vers la salle de bain. Depuis qu’elle l’avait aperçu nu dans l’entrebâillure de la porte, elle espérait toujours que l’accident se reproduise. Et s’était-il reproduit ? Hélas non ! répondait-elle, en baissant la tête. Puis elle rajoutait, levant les yeux vers le ciel en se signant, Dieu merci !


Faustine Delaroux rejoignait le boulanger au milieu de la nuit, chaque fois qu’elle souffrait d’insomnie. Elle s’allongeait dans le pétrin vide et il la prenait entre deux fournées, puis couverte de farine mais remplie d’allégresse, elle rentrait finir sa nuit auprès de son mari. Là, Monsieur le curé avait du mal à retenir un « oh ! » de stupéfaction. Souffrait-elle souvent d’insomnie ? Seulement une nuit sur deux. Mais il arrivait que le boulanger souffrit aussi de ne pouvoir dormir, les après-midi où la chaleur l’obligeait à garder les fenêtres ouvertes, laissant ainsi entrer les bruits de la rue. Il la rejoignait alors dans la fraîcheur de sa cuisine et la reprenait sur le bord de l’évier.


Dès qu’elle entendait au milieu de la nuit, Faustine Delaroux passer devant sa loge pour rejoindre le fournil au fond de l’arrière-cour, Perrine Le Ballec ouvrait son lit pour accueillir Donatien Delaroux quelques minutes plus tard. Ils avaient déjà testé les quarante six positions du Kamasoutra, figurant sur un document qu’elle avait trouvé dans la poubelle d’un de ses locataires, puis ils avaient, d’un commun accord, adopté la posture de l’enclume. Là, Monsieur le curé ne posait plus de questions, bien que sa curiosité soit mise à rude épreuve.


Puis c’était le tour de Constance Fontaine qui draguait à la Samaritaine et faisait l’amour dans les endroits les plus inattendus, dans les positions les plus acrobatiques, qu’elle décrivait avec force de détails qui donnaient le vertige à Monsieur le curé. Félicie Renaudot se goinfrait de pets de nonnes et de religieuses au chocolat en lisant des romans libertins, tandis que Sérénade Corvisart trichait au poker avec Bélisaire Renaudot. …


A chacune d’elles, l’abbé Letellier prescrivait pour pénitence, un Pater et trois Avé, puis elles récitaient l’acte de contrition, tandis qu’il leur donnait l’absolution. Elles s’en allaient en paix, pour revenir la semaine suivante, car elles avaient le péché récurrent. Quand il rejoignait la cuisine du presbytère après cette longue matinée de labeur, l’abbé n’avait plus faim, il déjeunait d’une simple soupe de haricots et s’accordait une sieste avant de commencer la rédaction de l’homélie dominicale. Le lendemain matin il prenait le temps d’un petit déjeuner avant d’aller écouter Gédéon Courbet de Villepinte, Aimé Bourget-Degas et les autres. Ce jour là, les confessions ne duraient qu’une heure, car les hommes n’ont pas l’habitude de s’étendre sur leurs péchés et Monsieur le curé était capable d’en mesurer l’ampleur sans en demander plus.


Ainsi allait la vie de l’abbé Letellier curé de la paroisse Saint Bréviaire et cela aurait pu continuer longtemps si un évènement n’était venu le plonger dans un profond désarroi. Le diocèse conscient de l’étendue de sa charge, décida de lui accorder l’assistance d’un vicaire. Un dimanche matin, pendant la grand’messe, juste à l’heure de l’offertoire, on vit arriver le jeune abbé Dutheil. Auréolé par un rayon de lumière descendant du vitrail, avec ses longs cheveux bouclés et sa barbe, il était la résurrection de Jésus et toutes les paroissiennes crurent au miracle.


Le vendredi suivant, lorsque Monsieur le curé se présenta devant son confessionnal, les bancs étaient presque vides. Seules Clarine Blin et Cosette Legall étaient là, l’une pour se faire absoudre ses oublies de prières et quelques commérages pour l’autre. Des petits péchés de rien qui ne justifieraient même pas un passage au purgatoire. Etonné, l’abbé Letellier jeta un coup d’oeil circulaire autour de l’église et c’est ainsi qu’il les aperçut : Olympe Courbet de Villepinte, Athénaïs Bourget-Degas, Clémence Bertois et les autres. Elles étaient toutes là-bas, en face, de l’autre côté de la nef, agenouillées en attente devant le confessionnal du vicaire. Une telle infidélité plongea le prêtre dans un grand désespoir. Il se sentit renié, humilié, trahi et rejeté. Il perdit le goût d’accomplir son sacerdoce. Ses sermons n’avaient plus la ferveur qui jetait tant de grâce sur les paroissiens. Sa bonne s’inquiétait de ne plus le voir faire honneur à sa cuisine, heureusement le jeune vicaire avait de l’appétit pour deux et elle n’avait pas travaillé pour rien.


Et puis, juste avant d’atteindre le fond, Monsieur le curé prit rendez-vous avec son évêque, afin de lui faire part de ses doutes. Celui-ci lui conseilla de confier sa paroisse au vicaire et de faire un pèlerinage. Il se donna quinze jours de vacances pour aller se recueillir sur les reliques de Saint Amour. Chaque jour il s’abîmait en prières demandant au Saint d’intercéder auprès de Dieu, afin qu’il puisse retrouver l’affection de ses paroissiennes. Il promettait de mettre fin à son excès de zèle, concernant la mesure des péchés. Il ne poserait plus de questions et garderait les mains jointes quoi qu’il arrive.


Apaisé par les prières et rempli de la grâce de Saint Amour, l’abbé Letellier reprit sa mission paroissiale un vendredi. Il s’apprêtait à rejoindre le presbytère après l’office du matin, lorsque l’enfant de chœur vint lui annoncer que plusieurs dames l’attendaient devant son confessionnal. Le miracle avait eu lieu et il fit une neuvaine pour remercier le Saint. Et puis, quelques semaines plus tard, ce fut le tour du vicaire de venir se confier à lui. Il apprit ainsi, que l’abbé Dutheil n’avait pas supporté les aveux détaillés des péchés de ces dames. A Madame Courbet de Villepinte, il avait indiqué, qu’il comprenait fort bien le sens du mot simulation, sans qu’elle ait besoin de s’exécuter. Il dispensa Madame Bourget-Degas des détails concernant son cheval. Il envoya Mademoiselle Bertois se cuisiner une soupe de légumes. Il ne partagea pas la compassion de Madame Delaroux pour la dure vie de boulanger, ni la passion de Madame Le Ballec pour le kamasoutra. L’abbé Dutheil, effaré de tant de lubricité avait cessé de confesser le vendredi. Préférant secrètement les hommes, il proposa de se consacrer aux confessions du samedi, tandis que le curé se chargerait exclusivement de celles de la veille. Les paroissiennes retrouvèrent l’abbé Letellier et la qualité d’écoute qu’il avait toujours su leur prodiguer.


Oubliant ses promesses à Saint Amour, il ne résista pas longtemps au désir d’en savoir plus. Il lui arrivait encore de disjoindre ses mains et pas seulement pour le signe de croix, en écoutant Constance Fontaine lui raconter comment elle avait quitté la Samaritaine pour aller draguer au BHV et comment, perchée sur le tabouret dans la cabine du photomaton, elle se laissait tripoter les boutons par le chef du rayon bricolage. Ensuite, elle faisait la sortie de bureau des fonctionnaires municipaux de l’hôtel de ville et contre un mur d’une impasse du Bourg Tibourg, entre les effluves des thés Mariage et celles des falafels de la rue des Rosiers, elle... Mais là, elle s’arrêtait, incapable d’en dire plus. Monsieur le curé n’insistait pas, il en savait assez. Et puis il lui fallait garder des forces pour Sérénade Corvisart et ses parties de poker à la fin desquelles Bélisaire Renaudot se retrouvait nu comme un ver, ficelé en croix aux barreaux du lit, pendant que Sérénade abusait de lui dans tous les sens et de tous ses sens. L’abbé connaissait par cœur le déroulement ces parties, mais il ne lassait pas de les réentendre. Sérénade gagnait au bluff car Bélisaire était naïf, c’est du moins ce qu’elle prétendait, mais l’abbé s’était fait sa propre idée qu’il gardait pour lui. S’il ne prenait pas Bélisaire pour un naïf, il n’en était pas de même concernant son épouse. La pauvre Félicie Renaudot accumulait les bourrelets et les kilos, vivant par procurations les aventures libertines de ses lectures et dégustant des pâtisseries, en attendant le retour de son mari, occupé par des responsabilités professionnelles écrasantes. Tenu par le secret de la confession l’abbé Letellier se taisait.


Conscient de la qualité d’estime qui liait les paroissiennes de l’église Saint Bréviaire à leur curé, l’abbé Dutheil vint bientôt s’enquérir de quelques conseils auprès de l’abbé Letellier afin d’améliorer sa pratique confessionnelle. Celui-ci lui enseigna l’art de la mesure des péchés, qui est ici, en substance, plus un outil pour libérer la parole du pénitent, qu’un instrument évaluatif. Le vicaire adopta les méthodes enseignées par son maître. Il mania avec zèle la pratique du questionnement, oubliant parfois de garder les mains jointes en écoutant Gédéon Courbet de Villepinte confesser le plaisir donné par sa secrétaire à quatre pattes sous son bureau. Mais l’abbé Dutheil avait besoin d’en savoir plus. Gédéon expliquait alors qu’avec une lenteur qui faisait monter en lui la fièvre, elle défaisait un à un le boutons de sa braguette, puis sa main délicate partait dans les méandres de son caleçon à la recherche de son sexe. Lorsqu’elle l’avait enfin trouvé, elle le caressait d’abord du bout de ses doigts fins, comme pour lui dire bonjour, puis elle le prenait à pleine main en le serrant doucement pour le conduire vers sa bouche. L’abbé Dutheil fermait les yeux pour être sous le bureau, il éprouvait alors le goût sucré du miel s’écoulant vers sa gorge, mais il devait déjà s’arracher de ces pensées, car Monsieur Courbet de Villepinte attendait son absolution.


Dans l’ombre du confessionnal Aimé Bourget-Degas dégageait un profil qui jetait un grand trouble sur le vicaire à qui il arrivait même de se tromper de prières. Inconscient de l’état qu’il produisait sur le prêtre, le pauvre Aimé passait son temps à se lamenter de ce que la petitesse de sa verge ne donnait pas toutes les satisfactions attendues par son épouse et s’il n’avait jamais commis le péché d’adultère ce n’était pas seulement par vertu. L’abbé Dutheil, qui l’imaginait petite mais vigoureuse, rassurait Monsieur Bourget-Degas, tout en l’encourageant à persévérer sur la voie de la fidélité.


Philibert Renoir avouait qu’il regrettait de ne pas avoir épousé Clémence Bertois et de lui avoir préféré sa sœur. Chaque samedi en fin d’après midi, lorsqu’il la retrouvait chez lui en rentrant de sa partie de tennis, il courrait vite s’enfermer dans la salle de bain pour se masturber sous la douche en pensant à elle. Ensuite ils dînaient tous ensemble d’un extraordinaire velouté de légumes dont Clémence avait le secret et l’abbé Dutheil aussi.


C’est ainsi qu’entre le curé et son vicaire, la paix revint au presbytère de la paroisse de Saint Bréviaire, tandis que la bonne rassurée, chantait des cantiques en lessivant les caleçons et les draps des deux prêtres.