Alice venait d’avoir vingt cinq ans et n’avait pas encore connu l’amour. Elle avait pourtant commencé très tôt à explorer son corps. En compagnie des garçons du quartier, sous le grand saule pleureur du square de la rue Didot, elle avait découvert les zones susceptibles de lui procurer d’agréables sensations, lorsqu’ils savaient faire preuve de curiosité, de délicatesse et de subtilité. Ces jeux, qu’elle savait interdits, avaient fait d’elle une petite fille espiègle, pour qui la vie s’annonçait comme une succession d’évènements pleins de surprises et de légèreté. Mais à quatorze ans, lorsque Constantin Pironelli lui avait enfoncé sa grosse langue baveuse dans la bouche, elle avait trouvé cela dégoûtant et elle avait pris quelques distances avec les garçons.
Elle était devenue une jeune fille très sage, trop sage, car dès qu’un homme s’intéressait à elle, elle rougissait jusqu’aux oreilles et dès qu’il lui posait une question, elle se mettait à bégayer une réponse incompréhensible, de telle sorte que même les plus téméraires avaient renoncé à l’approcher. Comme elle avait peur d’aller danser et pour occuper ses loisirs, elle se mit à fréquenter les conférences et les musées.
Au cours de son repas d’anniversaire, alors qu’avec érudition, elle avait entrepris une critique experte de l’exposition Vlaminick, sa cousine Aliénor, qui à dix huit ans en était déjà à son cinquième fiancé, lança à la tablée, qu’elle n’avait jusqu’alors visité qu’un seul musée, celui de l’érotisme, mais c’était ce qu’il y avait de mieux pour apprendre comment plaire aux hommes. Les éclats de rires avaient fusé et Alice s’était tue, blessée par ce lazzi.
Cependant elle avait retenu la remarque de sa cousine, qui au fond, avait peut-être raison. Alice prit donc son courage à deux mains et s’en fut à Pigalle. Devant la porte du musée, elle hésita encore un peu et finalement elle se laissa entraîner au milieu d’une joyeuse bande de touristes en goguette.
Dans la première salle consacrée à l’art érotique populaire, elle promena son regard sur des objets usuels aux formes phalliques généreuses. « Cet artisanat licencieux empreint de joie et de santé, est à tout le moins, l’expression d’une libre pensée » se dit Alice. Et tandis qu’elle poursuivait sa réflexion, s’interrogeant sur la contribution de l’art érotique dans l’avènement de la démocratie, la joyeuse bande s’esclaffait devant la statue d’un pauvre bougre hilare, à la verge tellement énorme, qu’il se voyait condamné à la transporter devant lui dans une brouette.
Dans la salle suivante dédiée l’art sacré, Alice s’imprégna de la vénération de l’homme pour le miracle de la vie. Des idoles, amulettes, masques et autres objets de cérémonies représentant la fécondité, constituaient un patrimoine précieux et bouleversant qui laissa Alice émue. Près d’elle, devant une représentation d’un accouplement dans le rite hindou, la joyeuse équipe s’interrogeait sur la probabilité d’une pénétration efficace. « J’te parie qu’il l’a pas assez longue pour l’y mett’e dedans » disait l’un. « Et toi, tu crois qu’a s’rait assez longue la tienne ? », répondait l’autre.