06/12/2009

Kriss


Kriss est partie « sur un air de poissons volants ». Sa voix à fleur de peau, à fleur de cœur, ne résonnera plus sur les ondes de France Inter.

C’est en se rasant ce matin que Jean Pierre a appris la nouvelle et sous le coup de l’émotion, il s’est un peu râpé le menton. Ensuite la tristesse lui est tombée dessus. Avec le départ de Kriss, c’est toute sa jeunesse qui fout le camp et dans la buée s’élevant au dessus de son bol de café, il regarde défiler les années.

Il se revoit, lorsque coincé dans les embouteillages, il écoutait FIP pour ne pas devenir fou. C’était dans les années soixante dix, il avait vingt ans et la voix acidulée de Kriss annonçait sensuelle, entre Albinoni et Stan Getz « Les bretelles de l’autoroute du sud ne sont pas élastiques ce soir » ou encore « ce n’est pas parce que l’ennui est la mère de tous les vices, qu’il faut en profiter boulevard Saint Germain ».

Lui il était fou amoureux de Kriss. Il ne l’avait jamais vu, mais il imaginait une petite blonde, belle, joyeuse et décalée, avec sa voix « en forme de minijupe ». Ah, la voix de Kriss ! C’était une gourmandise sucrée, une saveur espiègle qui faisait rêver Jean Pierre. Kriss s’était sa muse, son idéal féminin.

La fipette a grandi, elle est passée sur France Inter et Jean Pierre s’est mis au vélo. Souvent il la rejoignait, « l’oreille en coin », le dimanche après une grasse mat’. Devenue Kriss Graffiti, elle dessinait des mots avec humour et impertinence. « Auditrices de ma vie, auditeurs de mon cœur, il vous arrive parfois de trouver votre vie quotidienne ennuyeuse… » et Jean Pierre buvait ses paroles .

« A cœur et à Kriss », elle livrait ses histoires, en « roue libre ». Agitatrice d’immobilités, avec légèreté et profondeur, elle dressait pour son « peuple secret des ondes », des « portraits sensibles », dans des interviews intimes, hors des sentiers battus, qui laissaient Jean Pierre tout ému.

La Kriss dénichait les rêves et livrait ses crumbles : « Et si on pouvait prendre de la cervelle en vieillissant, au lieu de prendre du ventre ! » Ou encore : « Est-ce bien raisonnable de déranger les satellites pour nos élucubrations ! » Et Jean Pierre jubilait.

Puis elle rendait l’antenne sur ces mots « La Kriss vous embrasse, c’est dimanche et c’est légal » et Jean Pierre s’en allait danser le cœur léger.

Ce matin Jean Pierre est là, devant son bol de café qu’il n’arrive pas à avaler. Il voudrait pleurer, libérer toutes ses larmes coincées au fond de sa gorge. Autant de larmes que de femmes rencontrées. Aujourd’hui il réalise que chez toutes ces femmes, c’est un peu Kriss qu’il cherchait.


Pour retrouver la voix de Kriss :

http://sites.radiofrance.fr/franceinter/ev/fiche.php?ev_id=1037

http://www.aventure-apple.com/france/audiomac/audiomac2.html