18/10/2010

Ange ou démon ?


Cela fait vingt quatre ans que je suis l’ange gardien de Sofia D’Alembert et je n’en peux plus ! Vous n’imaginez pas les souffrances que j’endure, en assistant à tous les instants de sa vie.

Jusqu’à douze ans, Sofia était une adorable petite fille, qui a poussé comme une fleur. Mais aujourd’hui, qu’elle est devenue une divine jeune fille, je suis bouleversé, chaque fois que je la vois se déshabiller. Lorsqu’elle se glisse nue dans son bain, j’en suis tout chamboulé, quand devant son miroir, elle se cambre pour observer ses fesses et puis se retournant elle caresse ses seins, oh « Bon Dieu » ! On a beau être un ange, caché sous l’aube vertueuse, il y a un corps céleste qui s’émeut tout autant que celui d’un humain ; avec en plus, dans le dos, des ailes qui s’agitent de frétillements incontrôlés.

Vous pouvez discutez du sexe des anges ! moi je vous dis que je suis à la torture, dès que son petit ami entre dans sa chambre. Quand il l’enveloppe de ses bras, quand elle enfouit son visage dans l’échancrure de la chemise ouverte, quand il lui mordille l’oreille, et que la tête en arrière, elle éclate en rires cristallins, quand il s’allonge sur elle, et qu’ensemble ils s’abandonnent à leurs soupires, oh « Nom de Dieu » ! c’est diabolique ! Et pendant qu’ils sont aux anges, moi j’ai envie de décocher une flèche, qui les transpercerait tous les deux en même temps. On a beau être une créature céleste, on n’en est pas moins pourvu d’états d’âme, et moi je suis tellement jaloux, que c’est un enfer, de devoir rester coincé au paradis, à les regarder s’ébattre.

Depuis vingt quatre ans, combien de fois suis-je intervenu pour la protéger d’un accident imminent ? Mais ce matin, lorsque s’apprêtant à traverser la rue Didot, sans regarder, ni à gauche, ni à droite, elle faillit se jeter sous une voiture, j’ai eu un moment d’hésitation. Un choc mortel, l’aurait tout de suite conduite au ciel ; ainsi je n’avais plus qu’à l’amener à Saint Pierre et plaider sa cause, afin de lui ouvrir les portes du paradis. De sorte que, nous aurions pu couler ensemble des jours heureux à s’aimer pour l’éternité. Cependant au dernier moment, renonçant à devenir faiseur d’ange, j’ai attiré son regard vers la vitrine de chez Bérénice, où une étalagiste installait la collection d’hiver. C’est ainsi que la voiture est passée sans heurt et que Sofia est restée parmi les humains, à contempler un petit manteau de la dernière mode. Pourquoi j’ai fait ça ? Mais parce que j’ai soudain eu peur, de ne jamais réussir à gagner son amour.

Avec une patiente d’ange, je continue donc à faire bonne figure et me réjouir avec mon collègue, du bonheur de nos deux protégés, car si par malheur on soupçonnait mon trouble, je me verrais immédiatement relevé de mes fonctions et reclassé dans l’armée céleste, sous les ordres de l’archange Michel, celui là même qui terrassa les démons. Ou pire encore, je pourrais être jeté aux enfers et devenir démon moi-même. Afin d’éviter un tel sort, je cache soigneusement mon trouble sous mon aube pure.

Au Paradis, à l’heure où l’ange passe, je rêve parfois d’une salsa démoniaque où je serais Belzébuth. Et dans les nuits chaudes de l’enfer, elle deviendrait Lilith. Tandis que je serais en rut, je l’enflammerais, et membres emmêlés, nous roulerions ensemble dans la luxure, ruisselants de sueur, assoiffés de désirs, brûlants de nos ardeurs, avides de plaisirs, voraces de nos chairs, et dans cette géhenne, un chœur de hurlements s’élèverait pour célébrer l’amour, jusqu’à l’épuisement.