24/12/2008

Transgression


Porte d’Orléans, il trois heures du mat’. Je suis à l’heure, les autres aussi. On se répartit dans les quatre voitures. Quelqu’un demande où est le matériel. « C’est bon j’ai tout prévu » répond un autre. Je suis coincée entre deux costauds, à l’arrière de la Clio. A l’avant, les filles parlent de la réunion qui s’est terminée tard hier soir. Elles n’ont dormi que deux heures. Tant pis, elles se reposeront plus tard. Pour le moment nous filons vers le sud. L’A6 est vide. Les quatre voitures n’ont pas de peine à se suivre. Bercée par le bruit du moteur et le cinquième concerto pour piano et cordes, je m’endors pour me réveiller au moment où nous quittons l’autoroute. Je n’ai aucune idée de l’endroit où nous sommes. A l’avant, la passagère indique la route. Nous tournons plusieurs fois. La voiture s’arrête.


Je distingue dans le noir, d’autres voitures sur le bord de la route et des gens tout autour. Mon voisin dit qu’il est quatre heures. Nous sortons, il fait un peu frais. Le jour va bientôt se lever. Quelqu’un distribue les outils. Je ne sais pas si je saurai m’en servir, mais je ne suis sans doute pas la seule dans ce cas là. Cette réflexion me rassure. Nous sommes nombreux et pourtant il règne un silence étrange. C’est parti, nous marchons tous ensemble pendant quelques minutes sur un chemin de terre. La troupe s’arrête et quelqu’un dit « Voilà ! C’est ici, le champ à votre gauche. Allez-y ! Détruisez tout !


Les premiers sont déjà au travail. Je m’avance dans les rangs, afin de trouver une place et je commence. De toute ma révolte contre l’appropriation du vivant, contre les discours démagogiques au service de l’intérêt individuel, contre l’intérêt collectif sacrifié sur l’hôtel de la finance ; de toutes ces forces accumulées, ma main droite lance la faucille contre les maïs, tandis que de la gauche j’écarte les tiges qui s’écroulent en ayant perdu pied. Il faut que tout soit fauché avant le jour. Deux hectares d’organismes génétiquement modifiés Deux hectares semences brevetées Monsanto. Deux hectares d’un poison potentiel qu’il faut détruire avant que toutes les espèces ne soient contaminées.


Je sens la rage autour de moi. Les faucheurs occasionnels ont le geste convaincu à défaut d’être précis. En vingt minutes tout est par terre et nous repartons comme nous sommes venus. Chacun retrouve sa place en silence. Maintenant il fait jour, les voitures roulent les unes derrières les autres jusqu’à l’autoroute. Puis c’est la dispersion.


Chacun va aller à sa vie, comme un jour normal. Quelques uns auront des ennuis. Mais un jour nous gagnerons, car certaines lois doivent être transgressées.