Cachée derrière son livre, je n’entends que sa voix, une voix appliquée pour traduire l’atmosphère. Je ne vois que ses mains, qu’elle agite pour ponctuer sa lecture. Quand il a tiré en direction de la grille, elle a pointé son index vers moi et j’ai eu soudain très peur. Si j’avais pu, j’aurais levé les bras vers le ciel pour me rendre.
Elle continue la lecture, les doigts cramponnés aux bords du livre, crispés par l’angoisse, suspendus en attente. Je vois ses ongles blancs, longs, recourbés comme les serres de l’aigle. J’ai peur que l’assassin me trouve, caché dans ce recoin de l’entrepôt, moi le témoin à abattre. Je suis ce témoin innocent, du roman qu’elle me lit. Celui qui a vu ce qu’il ne devait voir. Je voudrais fuir ou me défendre, mais je reste là immobile, terré sous un tas de détritus, dans l’entrepôt désaffecté.
Une main quitte le rebord du livre, dessine une courbe, comme celle de l’allée où je vois le tueur avancer lentement dans ma direction. La perle de la bague a lancé un éclat, je tremble. C’est le bout du révolver pointé à ma recherche, qui dans l’obscurité renvoie la lumière venue de l’extérieur. Il s’approche, je ne dois pas bouger, il passe, il est passé. Je sursaute, derrière moi, la porte vient de claquer.
Elle a refermé le livre, car l’infirmière vient d’entrer dans ma chambre. Elle s’apprête à partir, moi je voudrais me lever pour la remercier et lui serrer la main. Mais je reste là immobile et muet, cloué à mon fauteuil, mes mains inertes posées sur mes genoux. Elle reviendra demain poursuivre sa lecture. Moi, jusqu’à demain je vais rester dans ma peur de ce qui m’attend, derrière la porte.
L’infirmière a débloqué le frein de mon fauteuil. Après quelques manœuvres, elle me conduit sur un couloir qui n’en finit plus de tourner. Je ne sais pas où elle m’emmène, nous avançons au rythme de ses pas, qui claquent sur le carrelage. Là bas, un éclair appel mon regard. C’est la plaque d’une porte, qui renvoie la lumière venue du plafonnier. Une plaque qui indique « Docteur Moreau » et au dessous « neurochirurgien ». L’infirmière m’annonce « C’est lui qui suit votre dossier ». J’ai froid ! Puis elle ajoute « Vous avez rendez-vous demain pour les résultats, mais pour l’heure il reste encore quelques examens à terminer ». Je tremble !
C’est là, demain, derrière cette porte, c’est là que je vais découvrir ce qui m’attend. J’ai peur !