01/12/2008

Le jardinier de Montsouris


Au parc Montsouris on ne sait plus quel est son véritable nom, car cela fait belle lurette que tout le monde l’appelle « Colibri » et que personne ne se souvient plus d’où lui vient ce surnom qui lui va si bien.

Sous sa salopette verte à bretelles, il porte des chemises multicolores. Avec légèreté, il va et vient de parterre en parterre, on dirait qu’il danse. De fleurs en fleurs, il semble décoller dans un vol stationnaire. Quand il taille on dirait qu’il butine sans toucher le sol. Il est élastique et aérien, enluminé et chatoyant, sémillant et volubile. Il fait des pointes, des entrechats et soudain disparaît, pour resurgir derrière moi quelques instants plus tard, un œillet entre les dents. Il débite des flots de paroles, ses bras s’agitent en rythme et ses paupières battent en suivant la cadence.

Il est ondoyant et volage. Le lundi il marcotte Rose Forestier, cachés sous les taillis et les marronniers de l’entrée René Coty. L’après-midi il bouture Camélia Duchesne dans les seringas qui bordent la rotonde le long de la rue Nansouty.

Le mardi il arrose Anémone Déprés dans les parterres de dahlias, derrière la bonbonnière, puis il en pince pour Daphné Dujardin au milieu des rosiers qui occupent maintenant la plateforme de l’ancien palais Bordo.

Le mercredi il fait une pause, assis contre la mire sud du méridien en effeuillant Marguerite Prévert et vers quinze heures, sous le kiosque à musique, il rempote Jacinthe De Serre, tandis qu’elle lui joue de sa flûte.

Le jeudi il sème avec Violette Bouquet sous le sous le hêtre tortillard qui borde l’étang, puis il se taille derrière les saules, près guignol pour rejoindre Lilas Verger

Le vendredi, sous un tulipier de Virginie, il greffe Eglantine Lahaie, puis il bine Capucine Duchamps au fond d’une grotte secrète près de la cascade

Mais le samedi il le passe avec moi. Par des accès, dont lui seul connaît le secret, il m’emmène sur l’ancienne voie ferrée de la petite ceinture. Par delà le tunnel, nous cheminons dans le noir, main dans la main, jusqu’à l’entrée des carrières. A travers un labyrinthe de galeries quasi inaccessibles, il me conduit par d’étroits boyaux dans l’antre de la terre. Au sortir de ce dédale nous débouchons sur un lieu de merveilles. Il m’étend sur un tapis de mousse et nous nous butinons doucement à la lueur d’un rayon de lumière, qui parvient jusque là on ne sait trop comment. Avec écologie, d’abord il me défriche, puis il m’éclaircit, me draine et me bassine. Moi je lui roule une pelle, tandis qu’il me met la main au panier. Ensuite, j’étale mes gourmands et je déploie mes lianes pour lui faire un jardin d’agrément. Lui, il fait le verger, déroule son pistil, il bêche et me ratisse pendant que je l’irrigue. Avec une énergie toute botanique, il me cultive sur couche ou me fait la brouette et lorsque nous atteignons la symbiose, il m’ensemence dans la pépinière. Et quand tout est germé, nous nous élaguons sur la plate-bande en marcottant, avant de nous assoler tendrement, en regardant émus éclore nos boutons.

Et le dimanche ? Il se repose.