23/12/2008

Eden


Lorsqu’elle arrive à l’orée de la forêt, Eve se déshabille. Elle range ses vêtements dans son sac, qu’elle enfouit sous un taillis, puis elle part en courant sur l’allée des biches. Dans la clarté naissante de l’aube, Eve court après le vent. Sous ses pieds l’herbe humide est un tapis moelleux. L’air frais caresse ses épaules, glisse le long de ses flancs, descend entre ses cuisses et la fait frissonner. Emportée dans la descente du chemin de la gravelle, elle est légère, grisée par la vitesse. L’air devenu soudain plus vif, lui fouette la poitrine. La rosée glisse sur sa peau, de la pointe des seins vers le plexus solaire, forme un ruisseau qui s’arrête au nombril. Puis en débordant, il repart pour se perdre autour du pubis. Au bord de l’étang des fées, la boue souple et chaude s’introduit délicieusement entre les doigts de ses pieds.


Dans la clairière, Eve s’arrête un instant. Elle s’étire et salue le soleil qui va bientôt paraître. Vers l’est, elle offre ses seins dressés, la tête en arrière, les jambes écartées pour ouvrir le bassin, laissant la peau de son ventre se tendre entre ses hanches. Puis elle s’incline, relâche en avant son buste, ses bras et ses cheveux.


Ses fesses sont maintenant pointées vers le ciel et le garde forestier, caché derrière un gabion de branchages, n’en croit pas ses yeux. Entre les jambes écartées, il aperçoit la vulve blottie au milieu d’un bouquet de poils. Il est là immobile, le souffle suspendu. Son cœur bat la chamade. Il se pince pour vérifier qu’il ne rêve pas, mais il ne rêve pas.


Avant qu’il n’ait repris son souffle, elle a déjà disparu dans le virage des Fontenelles. Il reviendra demain et après-demain encore. Il reviendra chaque jour, tout comme il est déjà venu, depuis plus d’un mois attendre ce miracle. Un jour il osera sortir nu de sa cachette, pour venir avec elle saluer le soleil. Un jour il osera avec elle, courir après le vent, sentir la rosée ruisseler sur sa peau et la boue sous ses pieds.


Un jour il a osé et ils sont repartis, disparaissant ensemble dans le virage des Fontenelles. C’était en automne, sous la pluie et ils ont couru se jouant des tempêtes. Ils ont couru encore, sous la neige en hivers, car ils allaient heureux, vêtus de liberté.


Quand le printemps est arrivé, tout libre qu’ils étaient, ils ne se sont pas méfiés de ce chasseur matinal, caché derrière le gabion de branchages. L’ordre est passé par là et Adam, le garde forestier a perdu son emploi. Il s’appelait Adam.


De cette forêt, devenue leur paradis, Adam et Eve ont été chassés. Mais sois rassuré, il existe d’autres forêts pour courir avant l’aube, vêtus de liberté. Je suis certaine qu’ils sauront les trouver et tu sauras les trouver toi aussi.