21/12/2008

Enlumineuse


Penchée sur un parchemin, Dame Leine dessine des fleurs de lys et des feuilles de lierre sur des tiges entrelacées autour d’une lettrine dorée. Dans son atelier de la rue Coquillière (1), elle enlumine les laudes d’un bréviaire, mandé par la reine pour le jubilé du cardinal.


Ce jour d’hui un messager est arrivé tout droit de Terres Saintes, annonçant l’imminent retour des croisés. Depuis la venue de cette nouvelle, Dame Leine est émue à la pensée de retrouver son époux, qu’elle n’a pas touché depuis trois ans. A ce que l’on dit, à combattre les infidèles, il s’est couvert de gloire et le bon roi Louis, lui aurait offert un titre et un comté. Si ce que l’on dit est vrai, Dame Leine va changer de condition, mais pour l’heure, ses songes la transportent ailleurs.


Toutes ses pensées s’envolent vers l’objet de son désir, chevauchant à cette heure, sur son blanc destrier, en direction de la grande Paris. Elle est toute à son plaisir de le revoir tantôt. Et tout en dessinant au pied de la lettrine, une tige a bourgeonné en forme turgescente, juste au dessus de deux petites feuilles rondes. Plus au centre, la corolle béante d’un lys blanc, d’où perle une goûte de rosée, se penche vers le bourgeon érigé. Dame Leine sent poindre une douce chaleur entre ses cuisses jointes, qu’elle ressert plus fort pour mieux éprouver sa jouissance. Au sommet du dessin, une fine courge échappée d’une corne de fruits, s’offre vers la bouche pulpeuse d’une rose épanouie, tandis qu’une poire se dresse en direction d’une langue de sauge.


Dame Leine a maintenant très chaud, elle laisse là son ouvrage pour rejoindre à l’étage, la fraîcheur de sa chambre. Allongée sur sa couche, elle a dégrafé son surcot et relevé les pans de sa robe. Sa chemise de lin trempée, lui colle à la peau. Ayant ôté la résille de soie qui les emprisonnait, ses cheveux dénoués s’étalent maintenant, en étoile sur le drap de linon. Sur la table de chevet, un bouquet d’ancolies exhale un parfum suave, attisant sa langueur. Un soupir roule voluptueux de sa poitrine ouverte, vers sa bouche aux lèvres enfiévrées, que sa langue humide, vient tenter de rafraîchir. Du dehors, par la croisée ouverte, le chant d’un jeune trouvère parvient à son oreille, pour agrémenter de son repos. Au son du luth, sa main va doucement sur son ventre, glisse entre ses cuisses. Ses doigts s’immiscent lentement et puis s’arrêtent bloqués dans leur recherche.


Il lui faudra attendre quelques jours, ou bien quelques semaines, ou quelques mois encore, le retour du preux chevalier, portant sur sa poitrine la clé libératrice Cela fait maintenant trois ans qu’elle attend, le ventre ceint, afin de rester chaste et fidèle à l’homme qui guerroie contre le sarrasin impie. Trois ans qu’elle souffre le martyre pour un époux aimant, mais manquant fort de fiance à son encontre.


(1) Didot n’était pas encore né et derrière Montparnasse, les vignes, les champs d’épeautre, les prairies et les bois s’étalaient jusqu’au bourg de Vanves.