28/11/2008

Heurs et malheurs de Sophie


Lorsque Sophie connut ses premières émotions au contact des garçons, elle déclara haut et fort, qu’elle ne s’intéresserait qu’à celui qui serait à la fois, riche, beau, intelligent et cultivé.


A l’université elle rencontra François Eugène. Il ressemblait à James Dean. Un soir après la fête, il l’invita à partager son champagne et son grand lit, dans un superbe appartement au sommet de la montagne Sainte Geneviève, tandis que ses amies étaient invitées dans des petites chambres de citée U, approvisionnées en canettes de bières. Elle fit la découverte que le désir était plus fort et le plaisir plus intense au milieu du confort. Poser ses lèvres sur du cristal, ses pieds sur un tapis d’alpaga et ses fesses sur le marbre blanc de la vasque ; frétiller dans des draps de soie, se lover dans une couverture en cachemire, se câliner dans un bain à bulles aux senteurs de lotus ; faire l’amour sur des peaux de vison, devant une cheminée où crépite un feu de bois ; quitter une chambre en désordre et la retrouver rangée à son retour. C’est ainsi que Sophie s’installa chez François Eugène et le présenta avec fierté à ses amies. Main dans la main, ils fréquentèrent les théâtres et les cinémas du quartier. Yeux dans les yeux ils dînèrent dans les brasseries de la Contrescarpe. Mais quand, sortant de Polytechnique François Eugène commença à travailler, trop occupé, il n’accompagna plus Sophie. Il cessa également de s’intéresser à l’art, pour se consacrer exclusivement à la technique et à la gestion. C’est alors que Sophie commença à s’ennuyer.


Sophie rencontra Estéban lors d’une conférence de presse à l’Elysée. Elle débutait dans la carrière de journaliste, il était brillant, s’intéressait à tout et elle était en admiration devant une telle culture. Il lui fit découvrir le métier, bien mieux que tout ce qu’elle avait appris à l’école. C’est au cours d’un reportage en Chine, qu’elle eut l’occasion d’explorer avec lui les plaisirs de l’amour dans un palanquin. Ensemble ils parcoururent le monde et connurent d’autres surprises : sous la couronne de la Statue de la Liberté, dans un confessionnal à Saint Pierre de Rome, derrière un moucharabieh de la Mosquée Bleue, contre le Mur des Lamentations. Sophie aurait été comblée si Estéban avait été un peu moins … ou un peu plus… S’il était assez…, enfin s’il avait… Bref ! Il était petit, avait un grand nez et commençait sérieusement à perdre ses cheveux. A Paris quand ils sortaient ensemble, Sophie s’arrangeait pour ne pas fréquenter les endroits où elle risquait de croiser ses amis.


Le soir du vernissage de l’expo de Pavel, absorbée par un tableau abstrait intitulé « Allégorie de la Résistance », Sophie ne remarqua pas à l’autre bout de la salle, l’homme au chapeau noir qui ne la quittait pas des yeux. Elle en était à s’interroger sur le terme allégorie concernant l’art abstrait, lorsque l’homme au chapeau lui tendant un verre de champagne, commença à lui expliquer tout ce qu’elle n’avait pas réussi à décrypter : la résistance passive à l’écrasement du printemps de Prague et les références au mythe de la caverne. Il parlait avec érudition et Sophie se laissa gagner par le charme slave de l’artiste. Elle avait un joli petit cul et un beau carnet de contacts, dans lequel figuraient quelques critiques reconnus, qu’il fallait mieux connaître. A partir de ce jour on les vit partout ensemble : dans les premières, les défilés, les cocktails, les générales; les salons, les inaugurations, les expos, les conférences. Ils étaient de tous les arts, une coupe de champagne dans une main et un petit four dans l’autre. Ils se gargarisaient de mots jusqu’à la jouissance. Ils étaient beaux, riches, branchés, amoureux et photogéniques. Cependant leurs conversations manquaient de profondeur et vint le moment où Sophie réalisa que la culture de Pavel n’était qu’un vernis.


Sophie rencontra Georges au cours de la séance de dédicace de son roman, qui eut lieu au « café des arts et lettres » de la rue Didot. Il venait de déposer sur sa table un café allongé et allait repartir vers le bar avec son plateau vide, quand il se posa près d’elle un instant, pour lui demander ce qui avait inspiré son roman. Il avait beaucoup apprécié la veine fantaisiste de cette intrique ancrée dans la réalité. Elle savait parler des choses graves avec légèreté et choisir ses mots et ses phrases en éliminant le superflu. Cependant il aurait aimé un peu moins de complaisance avec un milieu qui puait le « bobo ». Sophie apprécia cette critique franche qui marqua le début de leur histoire. Quand il n’était pas garçon en extra dans les cafés parisiens, Georges faisait l’apiculteur. Il possédait une trentaine de ruches qu’il déplaçait dans les forêts du Morvan. Sophie découvrit avec lui, le bonheur dans les meules de foin ; les courses folles, nus sous la pluie dans la clairière ; l’amour devant un feu de bois dans la maison forestière désaffectée ; la saveur du miel coulant sur leurs langues emmêlées ; la caresse du nectar étalé sur son ventre et tendrement lapé ; la vigueur du dard butinant dans ses alvéoles et le goût sucré de la liqueur tiède. Toutes ces choses simples et naturelles, au milieu de gens authentiques et pleins de sagesse, loin du stress et des strass. Puis vint le moment où elle se mit à regretter que Georges ne l’invitât jamais au restaurant. A part les quelques pots de miel, il ne lui faisait jamais d’autres cadeaux. Même au cinéma elle devait payer sa place. Si elle voulait voyager avec lui, c’était par Allo stop ou Eurolines.


Dans le TGV qui ramenait Sophie à Paris, son voisin lui offrit d’aller prendre un verre au bar. Il s’appelait Léo. Avec sa crinière poivre et sel et sa peau bronzée, il dégageait un charme fou. Tout en lui était magnifique et elle aurait pu rester des heures à l’écouter, mais le train entrait déjà en gare de Lyon. Peu de temps après, ils ne se quittaient plus. Non seulement Léo était beau, riche intelligent et cultivé, mais en plus il lui faisait divinement l’amour. Avec lui elle découvrait des ressources insoupçonnées. Elle apprit à prendre le temps de laisser monter son désir et celui de retenir le plaisir. Léo l’accompagnait, sans précipitation, ajoutant ici et là un grain de sel ou quelques piments, heureux et comblé de participer à ses découvertes. Mais, car il y avait encore un mais, Léo avait l’âge d’être son père. Cela n’aurait pas été un problème en soi, s’il n’avait pris la fâcheuse habitude de se comporter avec elle, comme avec sa fille : lui prodiguant des conseils, jugeant ses décisions, jouant le Pygmalion. Lorsque Sophie voulait aller danser, Léo trouvait cela décadent. Quand elle souhaitait inviter ses amis, il les jugeait puérils. Puis vint le jour où, avec sa crinière devenue blanche et sa peau toujours bronzée, Sophie lui trouva un air de vieux beau.


Ensuite Sophie rencontra Edouard. Il était jeune, beau, riche, intelligent et cultivé, mais concernant la politique, ils ne partageaient pas du tout les mêmes idées. Cela donna lieu à des débats houleux, puis à des consensus sous les draps. Un soir de résultats électoraux, elle se réfugia à la Bastille et fit la connaissance de Samir. Ah ! Le beau Samir. Pourtant, quand elle réalisa que durant toute la coupe du monde de football, il resterait scotché devant sa télé, Sophie constata encore une fois qu’ils ne partageraient pas les mêmes valeurs. Après il y eut Nino, qui laissa Sophie pour Elsa. Plus tard, Sophie quitta Victor pour Max. Découvrant que Max était trop possessif, Sophie se réfugia près de Landry. Cependant Landry qui était très volage, se réveilla un beau matin dans le lit d’Amélie et Sophie le sut.


Déçue par les hommes, Sophie décida de s’en passer afin de ne plus en souffrir. C’est ainsi qu’elle fit la rencontre de Mélanie, d’Annie et de Sidonie ; d’Angéla, Gwénola et Dalila ; Carmen, Hélène et Madeleine ; Yolande, Armande et Mélissande ; Fanette, Cosette et Guillemette ; Fiona, Asna, Juliana ; Annick, Soizic, Véronique ; Estelle, Axelle, Jézabel…



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