08/11/2008

Perturbations sur la ligne 6


 Ce soir Amélie s’impatiente, à la station Saint Jacques le métro n’arrive pas et le quai se remplit. Un haut parleur annonce d’une voix froide un trafic perturbé en direction de Charles de Gaulle Etoile.

 Lorsqu’il est enfin là, les voyageurs qui en descendent tentent de se frayer un passage à travers ceux qui poussent dans l’autre sens. Pressée de toutes parts, sans opposer de résistance, Amélie en apnée, se laisse porter par le courant pour se retrouver la poitrine plaquée contre de buste d’un homme qui la dépasse d’une tête. En déséquilibre sur un pied, le nez contre la cravate de l’inconnu, cette proximité la met en gêne. Comme prise dans un piège, elle cherche un échappatoire, au minimum une position plus convenable, une barre à laquelle s’accrocher, mais lorsque le métro démarre, n’ayant rien trouvé, c’est tout contre lui qu’elle se rétablit. L’instant suivant, reprenant sa respiration, une agréable sensation l’envahit.

 Apaisée, Amélie retrouve son souffle. Le buste de l‘homme se gonfle au rythme de sa respiration pour venir se poser tout contre ses seins. Elle est bloquée, elle ne peut plus bouger, elle ne bouge plus. Elle se cale sur le rythme de l’homme. Elle capte son odeur et se laisse enivrer par ce parfum qui lui rappelle, qui lui rappelle… Trop troublée, elle ne cherche plus.

 Station Denfert les portes s’ouvrent, Amélie perçoit les mouvements autour d’eux. Ne pas bouger, résister. Ils sont bousculés, la vague les rapproche encore. Leurs jambes se frôlent. Elle ferme les yeux, elle se retient. Elle n’entend pas le haut parleur qui annonce d’une voix froide un trafic perturbé en direction de Charles de Gaulle Etoile. Une chaleur monte en elle, en douceur. Et ce parfum, une odeur de cèdre. Oui, c’est cela, le cèdre dans le parc Montsouris au printemps. Retenir l’instant, ne rien précipiter. Il se rapproche, ne pas reculer, offrir sa résistance. Elle frisonne, un souffle de respiration lui caresse les cheveux. Ne pas lever les yeux, ne plus bouger. Juste être là, juste être elle.

 A la station Raspail, ils ont encore résisté au mouvement de la foule. Leurs jambes se sont croisées, leurs sexes sont émus, un frisson parcourt leur peau. La foule qui se tasse autour d’eux protége leur intimité. Dehors un haut parleur annonce d’une voix froide un trafic perturbé en direction de Charles de Gaulle Etoile. Leurs mains se cherchent et se trouvent, leurs sexes qui se frôlaient se sont trouvés aussi. Elle sent contre le sien la puissance érigée de celui de l’homme. Il est si proche, qu’elle a la sensation de le contenir enserré. Elle voudrait bouger. Elle se serre contre lui, il se resserre contre elle.

 A la station Edgar Quinet ils sont si près que rien ne peut plus les séparer. Le plaisir les entraîne dans une danse silencieuse, un mouvement de balancier, ils sont ce balancier, ils vont et viennent imperceptiblement. Chaque fois un peu plus haut chaque fois un peu plus fort. Elle étouffe un soupir dans le cou de l’homme. Il est tout entier tendu vers elle. Ils se reçoivent avec toute la force de leur désir et l’instant d’après ils se relâchent émus de ce voyage. Ils n’ont pas entendu le haut parleur annoncer d’une voix froide un trafic perturbé en direction de Charles de Gaulle Etoile.

 A Montparnasse tout se déchire, c’est une lame de fond qui les sépare. Tout à leur émotion, ils se sont laissés surprendre sans opposer de résistance. Emportée dans le courant, Amélie le voit s’éloigner. Leurs regards se croisent pour la première fois en entendant le haut parleur annoncer d’une voix froide un trafic perturbé en direction de Charles de Gaulle Etoile.

 Dameleine, juillet 2007

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