03/12/2008

Un petit travail tranquille ?


J’ouvre la porte pour sortir. Il est là, devant moi. Penché sur sa sacoche, je ne vois que sa casquette bleue marquée du logo jaune. « Un recommandé à signer ! » lance-t-il. Relevant la tête, il me tend son carnet d’un geste vif. Dans sa précipitation, la casquette tombe, libérant la masse de ses cheveux mi-longs. Il est beau comme Samy Frey dans « César et Rosalie ». Et moi, telle Romy Schneider, émue et immobile, je le regarde, sans répondre. En est-il étonné, qu’il lâche son carnet. Nous nous retrouvons tous les deux accroupis sur le paillasson, à ramasser les objets tombés. Nos doigts se frôlent sur le bord du carnet, se fuient gênés pour se retrouver plus loin sur la casquette. Nous nous relevons ensemble, lentement sans nous quitter des yeux.


La casquette coincée sous son bras, il me tend à nouveau le carnet. Je n’ai pas de stylo, il cherche dans sa veste, replonge dans sa sacoche. Se redressant, d’un geste de tête, il renvoie en arrière la mèche qui lui couvrait les yeux, tel un Samy Frey ténébreux devant Romy Schneider. Je saisis le stylo qui m’échappe des doigts. Il le récupère au vol, mais dans le même mouvement reperd sa casquette. Je rattrape le carnet qui voulait s’échapper à son tour. « Où dois-je signer ? » D’un doigt de sa main libre, il désigne la case et je m’aperçois qu’il tremble lui aussi.


Tout en me regardant, il referme le carnet qu’il range dans sa sacoche, replace le stylo dans la poche intérieure de sa veste, ramasse au sol sa casquette en passant et s’en va en reculant sans me quitter des yeux. D’un geste de la main, à la manière de Samy Frey, il renvoie en arrière la mèche retombée sur son front. Moi, comme Romy Schneider, je reste là sur le pas de la porte à le regarder s’éloigner, jusqu’à ce qu’il ait disparu au tournant du couloir. Quelques secondes encore et je rentre chez moi pour aller me poser au bord de la fenêtre, le regard perdu sur l’immeuble d’en face, oubliant que je m’apprêtais à sortir.


Combien de temps suis-je restée là, égarée dans mes rêves ? On sonne à la porte et je reviens à la réalité. Je quitte la fenêtre et juste avant d’ouvrir, je jette un œil par le judas dans lequel s’encadre le logo de la Poste. « C’est le facteur, j’ai oublié de vous remettre votre recommandé ». J’ouvre. Dans un courant d’air venant de la fenêtre restée ouverte, la casquette s’envole à nouveau et la mèche de cheveux retombe sur ses yeux. D’un geste de la main, je la remets en place et doucement prolonge le mouvement jusqu'au sommet du crâne, lentement jusqu’à la nuque, le cou et les épaules. Il s’est rapproché, je me suis reculée, il m’a suivie et nous avons refermé la porte sur nous, oubliant la casquette sur le paillasson.


Je crois bien que j’ai abusé du Service Public, car pour un recommandé, la direction de La Poste estime qu'il faut en moyenne 33 secondes.


Le lendemain j’ai guetté le passage du facteur, mais il était en grève.


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