05/12/2008

Voyages à domicile pour des soins en terres lointaines.


La porte de sa douche est restée entrouverte « j’ai rendez vous chez le kiné à 11 heures, c’est pour cela que je ne vous ai pas attendue, mais pour le shampoing, j’apprécierais votre aide » me dit-t-il, d’une voix douce et ferme qui n’est pas celle d’un vieux. Au centre de soin à domicile, on m’a juste parlé d’un bras dans le plâtre. Il ouvre en grand la porte et c’est ainsi que je fais la connaissance de Gérôme Labranche.


Il est là devant moi, assis nu sur un tabouret. Son bras gauche enveloppé dans un sac plastique repose sur la robinetterie, tandis que de sa main droite il s’arrose copieusement avec le pommeau. Je m’attendais à trouver un vieillard maigrichon aux chairs tombantes et je me retrouve face à un homme, certes plus tout à fait jeune, mais dont le corps généreux et ferme, dégage une force virile qui me laisse figée. Percevant mon émoi, il me tend le flacon de shampoing avec dans le sourire, une pointe de d’amusement. Recouvrant ce qui me reste de raison, je me rétablis dans une attitude professionnelle et commence lui savonner la tête.


Lorsque mes mains s’enfoncent dans ses cheveux, j’ai soudain la douce sensation de me perdre dans la chaleur humide de la forêt amazonienne. Et quand lentement elles glissent vers sa nuque, je débouche alors sur une plage de sable blanc, face à la mer des Caraïbes. En suivant la ligne de sa colonne vertébrale, je suis transportée sur la muraille de Chine. Et descendant de part et d’autre, les vallées de ses reins, pour remonter le long ses flancs, je surfe sur les vagues du pacifique. Sur son buste chaud, je monte à l’assaut des dunes de Chingetti et sur son ventre je parcours la plaine de la Béca. Sur son sexe érigé je découvre ébahie tous les chevaux d'Afghanistan. Glissant entre ses cuisses, du bas de son ventre vers le bas de son dos, je descends le fleuve Niger sur une pirogue en pleine tempête subsaharienne.


De sa seule main valide, il déboutonne ma blouse, dégrafe mon soutien gorge et fait glisser ma culotte, en moins de temps qu’il n’en faut à un homme disposant de deux mains. Je perds le contrôle de l’attitude professionnelle, que j’avais su garder en tapant d’un coup sec, sur les doigts tremblotants de ce pauvre Monsieur Robert, qui s’était essayé au même exercice, pendant que je lui savonnais le ventre hier matin.


Après avoir éjecté le tabouret hors de la cabine, je prolonge le voyage, mon corps contre le sien. Sur ses omoplates, je visite les hauts plateaux hmongs et redescends vers la baie d’Halong. Tout près de sa rizière, je sens poindre un tsunami. Soudain c’est l’éruption du Vésuve qui m’inonde de sa grâce et je reste là un instant, émue de cet ultime hommage. Un instant seulement, car je sens à mon tour monter la déferlante, les cinquantièmes rugissants, un cyclone tropical.


L’ouragan est passé, la douche en une averse balaie les reliefs, pour laisser place à quelques gestes tendres. Je caresse son visage et je baise ses lèvres avant de me recomposer une attitude professionnelle.


Il sera en retard à son rendez vous de onze heures et rue Didot, Monsieur Robert s’impatientera de me voir arriver.


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